L'opposant Sam Rainsy au siège de son parti, le 7 janvier. (Photo Samrang Pring. Reuters) |
Au Cambodge, Sam Rainsy brave la répression
Liberation | 10 janvier 2014
Le leader de l’opposition au régime de Hun Sen appelle à une «transition démocratique en douceur» et poursuit ses meetings en province après avoir été banni de Phnom Penh.
Il
n’a plus le droit de manifester. Il ne peut plus rassembler ses
partisans dans les lieux publics de Phnom Penh. La police et la troupe
cambodgienne ont interdit tout défilé de l’opposition, après avoir maté
les foules et jeté à terre les estrades et les chapiteaux à partir
desquels Sam Rainsy s’adressait à des milliers de personnes jusqu’à ces
derniers jours. Mais le premier opposant au régime autoritaire du
Premier ministre, Hun Sen, ne se démonte pas. Convaincu d’avoir le
soutien de la majorité de la population, il rebondit en province. «Puisque nous sommes proscrits à Phnom Penh, nous tenons désormais des meetings à Siem Reap et à Battambang», dit-il dans un sourire nargueur à l’attention des autorités.
Enkysté.
Une semaine après l’assaut des forces de sécurité contre des grévistes
du textile qui a fait au moins cinq morts et plus de 40 blessés, il
fustige «l’atmosphère de haine» véhiculée par le pouvoir, qui «a fait donner l’armée pour casser un mouvement, comme au XIXe siècle
en Europe» : «On assiste à un durcissement du régime qui résulte du
fait qu’il se sent menacé dans ses fondations. Le clan des mafieux au
gouvernement et du tueur Hun Sen est capable de tout.» Rainsy a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat depuis vingt ans. Il se plaît à convoquer «l’armée rouge, l’Allemagne de l’Est, la Chine maoïste» pour caricaturer un pouvoir enkysté dans le passé de la guerre civile, piégé par ses «réflexes communistes».
Lors
du scrutin du 28 juillet, entaché de fraudes et d’irrégularités, le PPC
a réalisé le plus mauvais score de son histoire, en obtenant 68 sièges
sur 123 à l’Assemblée, contre 55 à l’opposition. Dans la foulée, il a dû
affronter des mobilisations de masse des ouvriers du textile, laissés
pour compte d’un secteur très rentable pour les multinationales de la
confection et le gouvernement. En décembre, ces revendications sociales
et les attentes politiques se sont cumulées dans des cortèges de rues
qui ont rassemblé au moins 150 000 personnes écœurées par les
agissements du clan au pouvoir. Une première depuis des années. «Comme pour le printemps arabe, la jeunesse et Facebook ont fait la différence, analyse ce parfait francophone qui a vécu en France pendant une vingtaine d’années. La
situation n’est pas comparable, mais les ingrédients sont identiques :
ras-le-bol des injustices sociales, de la corruption, de
l’enrichissement d’une petite minorité, du chômage et des mauvais
boulots, usure du pouvoir. Le déclic a failli se passer ces derniers
jours.»
Boycott. Mais
les autorités se sont vite cabrées. Elles ont menacé, déployé l’armée,
des commandos d’élite, tiré sur les grévistes, multiplié les
arrestations, les intimidations. Puis, elles ont convoqué Kem Sokha et
Sam Rainsy, les leaders de l’opposition, devant la justice le 14 janvier
pour «suspicion d’incitation aux troubles civils». Les deux
opposants ne seront pas seuls. Surya P. Subedi, le rapporteur spécial
des Nations unies pour la situation des droits de l’homme au Cambodge,
qui entame une visite dimanche dans le royaume, a prévenu qu’il sera
présent à cette audience exceptionnelle.
«J’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête», dit Sam Rainsy, qui évoque sans y croire «la possibilité d’être coffré par la police. Le PPC veut m’amener à la table des négociations».
Car son parti, qui fédère toute l’opposition, unie pour la première
fois depuis le retour de la démocratie en 1993, a décidé de boycotter
l’Assemblée et appelle à la tenue de nouvelles élections. «Mais on
ne négocie pas avec un pistolet sur la tempe. Il faut au préalable
libérer les prisonniers politiques, restaurer les libertés, arrêter les
poursuites judiciaires et créer une commission d’enquête indépendante
pour investiguer sur les crimes des derniers jours.»
Le leader de l’opposition cambodgienne souhaite que le mouvement de contestation reste «canalisé» pour éviter les dérapages : les «exactions d’escadrons de la mort» ou la «reprise
en main de situation par la ligne dure du PCC». «Nous aurions pu
prendre le contrôle de l’aéroport, occuper des ministères, envahir la
radio ou la télévision d’Etat comme en Thaïlande, assure-t-il, faisant mine d’oublier le quadrillage sécuritaire dans le Cambodge de Hun Sen. Selon
les principes de la non-violence, nous préférons faire comprendre à nos
adversaires qu’on ne tire pas sur une foule sans arme.» Il cite en référence l’action d’Aung San Suu Kyi, qui a «poussé à des changements constitutionnels dans son pays».
Sauf qu’en Birmanie, c’est la junte qui ainitié l’ouverture politique.
Au Cambodge, le PPC lance des idées de réforme depuis des mois, mais ne
donne aucun gage. Il n’empêche, Sam Rainsy appelle de ses vœux une «transition démocratique en douceur».
Amnistie. L’opposant prend-il ses désirs pour la réalité ? Il esquisse - hâtivement et étrangement - un scénario permettant «une
sortie honorable des dirigeants. Il faudra donner des garanties pour
éviter une chasse aux sorcières, pour ne pas les menacer dans leur
fortune, leur dignité. Et envisager un poste honorifique comme pour
Pinochet au Chili». A l’en croire, le Premier ministre lui aurait
demandé de préparer une loi d’amnistie pour les trois plus hauts
responsables de l’Etat, lorsque les deux hommes se sont rencontrés, le
16 septembre, afin de résoudre leurs différends.
Hun Sen lui aurait même affirmé :«Si l’opposition initie une telle loi, nous la soutiendrons»,
en ajoutant qu’il refuserait de démissionner sous la pression. L’homme
fort du Cambodge et animal politique, au pouvoir depuis 1985, entend
gouverner «jusqu’à l’âge de 74 ans». Il a 62 ans. Et aime trop le pouvoir pour l’abandonner.
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