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Wednesday, January 15, 2014

Au Cambodge, Sam Rainsy brave la répression

L'opposant Sam Rainsy au siège de son parti, le 7 janvier.
L'opposant Sam Rainsy au siège de son parti, le 7 janvier. (Photo Samrang Pring. Reuters)

Au Cambodge, Sam Rainsy brave la répression

Liberation | 10 janvier 2014

Le leader de l’opposition au régime de Hun Sen appelle à une «transition démocratique en douceur» et poursuit ses meetings en province après avoir été banni de Phnom Penh.

Il n’a plus le droit de manifester. Il ne peut plus rassembler ses partisans dans les lieux publics de Phnom Penh. La police et la troupe cambodgienne ont interdit tout défilé de l’opposition, après avoir maté les foules et jeté à terre les estrades et les chapiteaux à partir desquels Sam Rainsy s’adressait à des milliers de personnes jusqu’à ces derniers jours. Mais le premier opposant au régime autoritaire du Premier ministre, Hun Sen, ne se démonte pas. Convaincu d’avoir le soutien de la majorité de la population, il rebondit en province. «Puisque nous sommes proscrits à Phnom Penh, nous tenons désormais des meetings à Siem Reap et à Battambang», dit-il dans un sourire nargueur à l’attention des autorités.
Ce matin-là, l’ex-banquier et ancien ministre des Finances, 64 ans, reçoit au siège du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), dans le sud de la capitale. Son visage s’est aminci depuis son retour d’exil, l’été dernier. Il avait fui le royaume en 2009 pour échapper à une peine totale de douze années de prison, pour des condamnations considérées comme des dénis de justice. Depuis les législatives de juillet et la (maigre) victoire du Parti du peuple cambodgien (PPC) de Hun Sen, Sam Rainsy est sur la brèche.

Enkysté. Une semaine après l’assaut des forces de sécurité contre des grévistes du textile qui a fait au moins cinq morts et plus de 40 blessés, il fustige «l’atmosphère de haine» véhiculée par le pouvoir, qui «a fait donner l’armée pour casser un mouvement, comme au XIXe siècle en Europe» : «On assiste à un durcissement du régime qui résulte du fait qu’il se sent menacé dans ses fondations. Le clan des mafieux au gouvernement et du tueur Hun Sen est capable de tout.» Rainsy a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat depuis vingt ans. Il se plaît à convoquer «l’armée rouge, l’Allemagne de l’Est, la Chine maoïste» pour caricaturer un pouvoir enkysté dans le passé de la guerre civile, piégé par ses «réflexes communistes».

Lors du scrutin du 28 juillet, entaché de fraudes et d’irrégularités, le PPC a réalisé le plus mauvais score de son histoire, en obtenant 68 sièges sur 123 à l’Assemblée, contre 55 à l’opposition. Dans la foulée, il a dû affronter des mobilisations de masse des ouvriers du textile, laissés pour compte d’un secteur très rentable pour les multinationales de la confection et le gouvernement. En décembre, ces revendications sociales et les attentes politiques se sont cumulées dans des cortèges de rues qui ont rassemblé au moins 150 000 personnes écœurées par les agissements du clan au pouvoir. Une première depuis des années. «Comme pour le printemps arabe, la jeunesse et Facebook ont fait la différence, analyse ce parfait francophone qui a vécu en France pendant une vingtaine d’années. La situation n’est pas comparable, mais les ingrédients sont identiques : ras-le-bol des injustices sociales, de la corruption, de l’enrichissement d’une petite minorité, du chômage et des mauvais boulots, usure du pouvoir. Le déclic a failli se passer ces derniers jours.»

Boycott. Mais les autorités se sont vite cabrées. Elles ont menacé, déployé l’armée, des commandos d’élite, tiré sur les grévistes, multiplié les arrestations, les intimidations. Puis, elles ont convoqué Kem Sokha et Sam Rainsy, les leaders de l’opposition, devant la justice le 14 janvier pour «suspicion d’incitation aux troubles civils». Les deux opposants ne seront pas seuls. Surya P. Subedi, le rapporteur spécial des Nations unies pour la situation des droits de l’homme au Cambodge, qui entame une visite dimanche dans le royaume, a prévenu qu’il sera présent à cette audience exceptionnelle.

«J’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête», dit Sam Rainsy, qui évoque sans y croire «la possibilité d’être coffré par la police. Le PPC veut m’amener à la table des négociations». Car son parti, qui fédère toute l’opposition, unie pour la première fois depuis le retour de la démocratie en 1993, a décidé de boycotter l’Assemblée et appelle à la tenue de nouvelles élections. «Mais on ne négocie pas avec un pistolet sur la tempe. Il faut au préalable libérer les prisonniers politiques, restaurer les libertés, arrêter les poursuites judiciaires et créer une commission d’enquête indépendante pour investiguer sur les crimes des derniers jours.»

Le leader de l’opposition cambodgienne souhaite que le mouvement de contestation reste «canalisé» pour éviter les dérapages : les «exactions d’escadrons de la mort» ou la «reprise en main de situation par la ligne dure du PCC». «Nous aurions pu prendre le contrôle de l’aéroport, occuper des ministères, envahir la radio ou la télévision d’Etat comme en Thaïlande, assure-t-il, faisant mine d’oublier le quadrillage sécuritaire dans le Cambodge de Hun Sen. Selon les principes de la non-violence, nous préférons faire comprendre à nos adversaires qu’on ne tire pas sur une foule sans arme.» Il cite en référence l’action d’Aung San Suu Kyi, qui a «poussé à des changements constitutionnels dans son pays». Sauf qu’en Birmanie, c’est la junte qui ainitié l’ouverture politique. Au Cambodge, le PPC lance des idées de réforme depuis des mois, mais ne donne aucun gage. Il n’empêche, Sam Rainsy appelle de ses vœux une «transition démocratique en douceur».

Amnistie. L’opposant prend-il ses désirs pour la réalité ? Il esquisse - hâtivement et étrangement - un scénario permettant «une sortie honorable des dirigeants. Il faudra donner des garanties pour éviter une chasse aux sorcières, pour ne pas les menacer dans leur fortune, leur dignité. Et envisager un poste honorifique comme pour Pinochet au Chili». A l’en croire, le Premier ministre lui aurait demandé de préparer une loi d’amnistie pour les trois plus hauts responsables de l’Etat, lorsque les deux hommes se sont rencontrés, le 16 septembre, afin de résoudre leurs différends.

Hun Sen lui aurait même affirmé :«Si l’opposition initie une telle loi, nous la soutiendrons», en ajoutant qu’il refuserait de démissionner sous la pression. L’homme fort du Cambodge et animal politique, au pouvoir depuis 1985, entend gouverner «jusqu’à l’âge de 74 ans». Il a 62 ans. Et aime trop le pouvoir pour l’abandonner.










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